C’était la fin de l’année scolaire, troisième secondaire. Dans la cour d’école, un enseignant m’a questionnée sur mon état de santé; j’avais « le teint pâle ». Durant l’été, mon teint a pâli encore et mon âme avec, un aperçu des sentiments qui m’habitaient alors.
« Je sais ce que vous attendez de moi. Je serai parfaite, si parfaite que vous vous en voudrez d’avoir suggéré que je ne l’étais plus tout à fait. Plus tout à fait comme quand j’étais enfant, plus tout à fait depuis mes quatorze ans. Je ne suis plus si mignonne? Vous ne voulez pas d’une adolescente, une autre? Le premier vous a causé – vous cause tellement de tracas, je sens déjà que mon existence vous pèse. Et vous autres, vous ne voulez pas de moi comme je ne veux pas de vous, d’ailleurs vous savez très bien que je me débrouillerai toute seule. Ça doit être ma faute; j’ai failli; j’ai échoué. Regardez-moi cette caricature. Échoué à quoi? Mais pas encore, il y a encore moyen de se rattraper.
Laissez-moi faire, je ne dirai pas un mot, je serai discrète, secrète, j’excellerai partout tout le temps, comme avant, et je me débarrasserai de tout ça, qui me rend imparfaite. Cela fera l’affaire de tout le monde, de moi d’abord : ces nouvelles formes, étranges, floues, rebelles, me répugnent. Je les traîne avec dépit et les regards qu’elles m’attirent pénètrent en moi comme une gorgée d’absinthe. C’est infect, je n’en veux plus. Je décharnerai mon corps pour en faire une forteresse pour que rien n’y entre. Que les os soient autant de barreaux pour une seule prisonnière. Pas de regards (ne me dévisagez pas), pas de nourriture (ne me gavez pas), surtout pas un autre corps (ne me violez pas). Ce corps-ci dira je ne veux pas être touché. »
Je me rappelle une fois à l’hôtel, cet été-là, la première fois que j’ai pu me voir nue de tout mon long, dans la salle de bains. J’avais entièrement perdu toute la chair de mes fesses. C’était plat, ici, complètement plat. Je me suis couchée dans le bain, j’ai senti mon coccyx en percer le fond. Je ne me trouvais pas belle, je ne me trouvais pas grosse non plus. J’ai ressenti une forme de soulagement – débarrassée, finalement. Une victoire contre le temps qui passe, le corps qui change. Je me souviens m’être dit « c’est ce qu’il faut ». Et après?
C’était revenir dans le temps, à une époque où le corps n’était pas un objet de désir, lui interdire le droit aussi d’être un sujet désirant. C’était vouloir reprendre des forces en refusant au corps toute source d’apaisement et de plaisir, toute perte de contrôle, toute faiblesse. En luttant chaque jour contre la faim, je m’élevais au-dessus du genre humain soumis à ses plus bas instincts. Je me donnais une punition que j’imaginais salutaire.
Elle l’était en quelque sorte. La restriction, la discipline et l’isolement sont devenus des refuges sûrs, alors que le monde ne l’était plus, alors que les repères avaient disparu. Je n’arrivais plus à voir comment il pouvait en être autrement. J’attendais qu’on me sauve, je l’espérais, tellement, tellement, au fond de moi. Et plus le temps passait, plus je détruisais mon corps et ma vie, plus j’étais en colère. J’étais en colère contre l’hypocrisie de ceux qui chuchotaient, qui murmuraient autour, qui avaient le regard inquiet et ne disaient rien, ne faisaient rien. Je souhaitais tellement, tellement, au fond de moi, qu’on me prenne fermement par les épaules, qu’on me regarde bien droit dans les yeux, qu’on me dise qu’on m’aime et que maintenant, on va agir. Ça ne va pas, il faut faire quelque chose. Tout de suite. Parce que moi-même, j’en étais incapable. Ce que je pouvais faire, tout ce que j’avais fait depuis des mois, c’était de me taire. Les mensonges, les cachettes, la solitude, le vide. Je me taisais si fort, plus fort que le silence, dans l’espoir qu’on m’entende crier. Un jour, sans me dire où on allait, ma mère m’a amenée à l’hôpital.
Je l’en ai remerciée douze ans plus tard.
Aujourd’hui, ça va bien.
– Anonyme
Je comprends, j’ai mal a l’intérieur, j’ai peur, chaque fois que je mange je me dis non tu n’aurais pas dû. C’est interdit pour moi, même si je sais que c’est aussi de la survie. Non ses interdits, comme lorsque l’on est enfants et que l’on fait une bêtises. Légère toujours plus légère j’y suis tellement confortable, sentir se vide m’apaise. Sentir se vide me réconforte, je suis capable, mais comme je suis fatigué. Je suis vraiment fatigué, mes.os il faut que je les touches combien je pèse non ce poids n’est pas pour moi. Légère, légère. Pourtant je veux vivre, pourtant j’aime la vie. Plus. Mince je dois être plus mince toujours.
Bonjour à vous ! J’entends votre souffrance et votre ambivalence face à cette relation conflictuelle que vous avez avec la nourriture et votre corps. Sachez que nous sommes là pour vous écouter et vous soutenir. N’hésitez pas à communiquer avec nous au 1800 630-0907. Vous n’êtes pas seule !
Merci pour ce beau témoignage,plein d’émotions, d’espoir et d’appels à l’aide entendus par la personne qui aime le plus aumonde: une maman.
C est beau et ça décrit tellement ce que l on vit avec l anorexie. Ce sentiment de forteresse. Wow. Je pleure.
Bonjour ! C’est un texte très touchant et percutant. Je sens qu’il a éveillé des émotions intenses chez vous, alors n’hésitez pas à nous contacter si vous ressentez le besoin d’en discuter. Vous pouvez nous appeler au 1800 630-0907 ou au 514 630-0907 (Montréal) chaque jour de 8h à 3h AM. Vous n’êtes pas seul.e !