L’an dernier, je vous annonçais sur ce blogue qu’après des années à m’être senti emprisonné avec l’hyperphagie et la boulimie, j’avais atteint la rémission.
Le lendemain de mon « coming out » en mars 2016, j’ai participé à une course officielle tellement atypique pour moi. C’était une toute petite distance non chronométrée avec comme thématique un aliment sucré souvent associé à mes orgies alimentaires. C’est ma toute nouvelle amie de course qui m’avait convaincu de tenter l’expérience.
Je n’en revenais pas du nombre de règles que j’avais enfreintes cette matinée-là dans la pratique de mon sport préféré. Et dieu sait que souvent nous, personnes affectées par les troubles alimentaires, sommes passés maîtres dans l’art de la construction de règles très rigides. Dès qu’une d’entre-elles n’est pas respectée, nous tombons dans une spirale de pensées troubles qui s’avèrent souvent précurseurs de temps extrêmement difficiles.
Le coureur 1.0
Voici en résumé quelques-unes de ces règles qui ont pollué ma vie de coureur pendant plus de 20 ans:
- Ne jamais courir moins d’un temps prédéterminé et ne jamais stopper durant une course: je voulais perdre des calories, le plus possible et un gros effort était toujours de mise. Faire sous mon temps prévu de départ ou devoir marcher à la mi-parcours rimait avec échec majeur.
- Courir sans carburant avant, pendant et après était dangereux. C’était un signe pas mal clair que cette activité-là servait seulement une quête: celle de contrer ma peur de prendre du poids et d’avoir une apparence différente.D’ailleurs, mes proches se sont toujours inquiétés lorsque je participais à des courses longues distances et durant ma réhabilitation, j’ai finalement compris pourquoi. Fournir autant d’efforts sans avoir la bonne alimentation dans mon système me mettait fortement à risque. D’ailleurs, durant une compétition en Finlande, mon corps m’a carrément envoyé un signe alors que j’ai vomi maintes fois tellement j’étais rendu au bout du rouleau.
- Courir toujours seul: c’était mon activité compensatoire à moi, celle qui me donnait l’impression de pouvoir atteindre un poids dit santé et je ne voulais pas perdre de l’énergie à parler ou à m’ajuster à la vitesse de l’autre. Je voulais garder le contrôle, une caractéristique également très fréquente des gens comme nous, victimes de ce type de maladies.
Le coureur 2.0
Finalement, ma petite course gourmande fut merveilleuse. J’avais tellement d’appréhensions au départ : peur de perdre mon temps, peur de manger en courant, peur de rencontrer des gens mais finalement, un état d’esprit complètement différent s’est emparé de moi. Pour une fois, je ne suis pas revenu chez moi complètement vidé par un effort surhumain (car oui, maintenant je réalise que courir avec toutes ces règles n’était vraiment pas naturel). Deuxièmement, le fait d’avoir couru en gang a rendu cette expérience très intéressante et enrichissante. J’ai renouvelé l’expérience combo course et gourmandises à 5 reprises lors de différentes courses au Québec par la suite.
Depuis, j’ai découvert plusieurs autres façons de vivre ma passion renouvelée de la course en m’inscrivant à un club de « trail » (la course en sentier est tellement bénéfique, facilitant la méditation et le contact privilégié avec la nature),en étant bénévole durant certaines courses officielles et en me joignant à un voyage organisé de course en Asie l’automne dernier. En résumé, ma passion se matérialise maintenant dans un équilibre qui inclut le respect de mon corps, une envie nouvelle de socialiser un peu plus et de partir à la découvertede merveilleux endroits.
En janvier prochain, je retournerai sur les lieux où mon hyperphagie s’est transformée en boulimie, c’est-à-dire au marathon de Walt Disney World. Je m’étais pourtant juré de ne jamais fouler le même parcours une deuxième fois (tiens une autre règle à la poubelle!). Cet évènement est la course par excellence dans le monde en ce qui concerne le plaisir et l’émerveillement. Plusieurs participants vont même s’arrêter durant le parcours pour faire la file etse prendre en photo avec un de leurs personnages préférés. Il y a 4 ans et demi, j’ai pris une seule photo à la toute fin car j’étais déjà très hypothéqué physiquement. Je marchais de peine et de misère alors je me suis dit de façon peu convaincante:pourquoi pas! Mon état d’esprit sera très différentdans quelques mois. Plusieurs pauses sont d’ailleurs prévues durant la course pour encore mieux savourer la magie du moment. Cette fois-ci, cette course se voudra un moment de pur plaisir, et non comme la première fois, l’expression de mon trouble alimentaire. J’ai bien l’intention d’en profiter pleinement et de profiter de chaque minute passée sur le site d’Orlando.
Et vous?
L’automne étant la saison par excellence de la course à pied au Québec, posez-vous les questions suivantes avant de vous inscrire à un évènement officiel et d’entreprendre un programme d’entraînement:
Pourquoi courez-vous? Quelles sont vos motivations réelles? Sont-elles intrinsèques (bien-être personnel, plaisir, rencontrer des gens, sortir de sa zone de confort, se dépasser…) ou sont-elles plutôt guidées par des facteurs extérieurs (désir de contrôler son poids et d’en perdre, suivre une mode, être meilleur que les autres, hommage à un être cher)?
Si la majorité de vos raisons sont plutôt dans la seconde catégorie, peut-être que cette activité n’est pas nécessairement pratiquée dans la bonne optique. Il est primordial, dans le sport comme dans tous les autres aspects de la vie, d’y trouver un certain équilibre et croyez-moi, pour avoir passé près de 25 ans à tenter de me motiver à courir seulement pour des raisons extrinsèques, les chances de réussite sont plutôt faibles à moyen et long terme.
Encore aujourd’hui, quand un de mes nouveaux amis me demandent de l’accompagner dans une course ou quand une nouvelle superbe médaille de participation me fait de l’œil, j’ai un peu de difficulté à dire non, mais comme dans quelques autres domaines de ma vie, la quête de l’équilibre représente un beau défi.
Alors je vous souhaite: bon équilibre dans le sport!
Marc Bergeron, survivant d’un trouble alimentaire