Le théâtre se met en marche dans la vraie vie. Des comédiennes se racontent dans l’air frisquet de Montréal. Nous discutons de cette préoccupation constante par rapport à notre image corporelle, discrète mais toujours en guerre sourde. Le gym obligatoire (?) de l’une pour garder sa forme (laquelle?), l’oeil trop perceptif de la caméra qui glisse sur mon nez aquilin, la peur de mal(?) vieillir, la tendance à glisser vers l’orthorexie, etc. Après de vives confidences, il nous semble essentiel d’en glisser un mot, sur scène, de mettre notre petite patte sur ce sujet sensible aux ramifications infinies. « Je pense avoir des textes dans mes tiroirs », dis-je alors, avec ma voix d’auteure en manque de croquer les mots.
Je vide mes tiroirs. Nous jouons avec des morceaux de casse-tête. Il manque une substance essentielle. Je me retourne vers la vie, la vraie, pour m’inspirer d’autres regards que le mien.
Miroir, miroir, dis-moi donc quelque chose d’encourageant
J’ai demandé à une dizaine de femmes quelles parties de leur corps elles appréciaient le plus et 5 phrases qu’elles se disent parfois en se regardant dans le miroir.
Les réponses m’ont sidérée. Les femmes de mon entourage se traitaient de façon beaucoup plus dure que je ne pouvais même imaginer. “Ben voyons donc, bienveillance, bienveillance!”, me disais-je. Jusqu’à ce qu’un bon matin, en me préparant dans le miroir…
« Si je me regarde vite, j’ai l’air moins laide. »
Cette phrase grave me résonnait dans la tête. Cette réplique a provoqué un rire nerveux tous les soirs lors de nos spectacles au printemps dernier et elle récidivera probablement lors de nos représentations en mars 2015, témoin vivant de notre trouble. Je suis d’accord, cher public. Vaut mieux en rire.
Un soir de souper familial, je dors chez ma grand-mère. Son condo m’inspire depuis que je suis toute petite, symbole ultime de l’excitante vie montréalaise pour une fille du bas du fleuve. Je pense à ce que j’en ai fait, de cette vie trépidante. Je songe à la pression fulgurante que je mets constamment sur mes épaules. Mon anxiété de performance à toutes les sauces n’a qu’à bien se tenir : qui ne vaut pas une risée ne vaut pas grand-chose! Sur le matelas qui déssouffle graduellement, un flash me prend toute entière : quand j’ai la falle à terre… c’est l’amour qui me panse, m’énergise et me donne du coeur au ventre! Je me lève d’un bond et le sourire en coin, gribouille ces quelques mots qui nous porterons : Fais-moi l’amour avant que l’hiver m’achève.
Désir d’intimité _ performance_perfectionnisme_image corporelle
Quand notre estime s’en va à vau-l’eau, que reste-t-il de nos amours et que reste-t-il de nous? Comment faire pour retrouver le chemin de la bienveillance?
Nos personnages s’emballent.
Mathilde fait semblant de ne pas attendre son amoureux voyageur. Elle se lance dans toutes sortes de nouvelles habitudes (entre autres alimentaires) pour prouver je ne sais quoi à je ne sais qui et accorde une attention plus que particulière à la perfection de ses sourcils.
Jennifer plonge dans son pop-corn intérieur à deux mains. À la recherche de son nouveau Moi de jeune femme, terrifiée à l’idée de ne plus s’entraîner comme avant, s’exerce à se définir autrement que dans le regard avide de performance de ses parents.
Sandra se jette entière dans un triangle amoureux où elle s’imagine désirer mais pas tellement désirée, où son « sexe est un chou affreux » et sa « tête écornifleuse ».
Cléo apprivoise l’amour sain et son corps changé par la maternité, mordant de son humour noir une foi en l’humanité encore fragile.
Ces personnages, je les aime comme des soeurs. La première mouture du spectacle présentée au printemps dernier nous a appris que nos personnages auraient aussi pu être des hommes. Les gars se sont identifiés aux enjeux d’image corporelle, de confiance, d’intimité et de performance. Lors de discussions stimulantes, ils nous ont fait comprendre à quel point ces sujets touchent tout le monde à différents degrés.
Appel à l’action
Seules ensemble, les quatre personnages de la pièce tissent une solidarité en filigrane. Devant nos yeux, elles se responsabilisent et lancent un appel à l’action.
Telle est ma quête, mon questionnement.
Créer, c’est choisir. Prendre voix, c’est assumer nos choix, accepter que nos idées soient bousculées, remises en perspective. S’ouvrir à changer d’idée sur la question ou de camper sa position dignement dans le respect des autres visions.
Ma position? Je suis responsable de mon rapport avec mon image corporelle, de ma confiance et du jardin de mon intimité. Bien sûr, on m’a dit des choses flatteuses à souhait et aussi dénigrantes à navrer. Je ne peux me résoudre à leur accorder tous crédit, alors je persiste et signe avec la responsabilité dans le sens de liberté. Je choisis mes yeux. C’est ce regard qui compte le plus, au fond. Alors je le cultive sous le signe de l’amour. Les jours où je suis moins douce envers moi-même, j’accepte d’aller chercher de l’aide pour me voir sous un jour plus lumineux.
Les questions soulevant les pôles liberté_responsabilité sont mes préférées. Les enjeux entourant l’image corporelle en soulèvent plusieurs selon moi. Le modèle unique de beauté existe-t-il vraiment? M’est-il imposé? Quelle est ma responsabilité face aux messages extérieurs? Comment passer du discours à un réel amour de soi? D’où vient la pression? Et finalement, ma question d’idéaliste en puissance : si je rêve d’une société où beauté rime avec diversité , comment puis-je faire ma part?
Je vous laisse avec cette question et aussi avec un souhait, une invitation :
Faites-vous donc l’amour! À vous-mêmes, les uns les autres, alouette! Quelques attentions nous pistent sur la bonne voie : des mots, des regards bienveillants et la noble intention de prendre soin.
Didascalie: P’tits becs.
Geneviève T.De L’Étoile
Auteure et comédienne
Fais-moi l’amour avant que l’hiver m’achève
4 au 7 mars 2015 à 20h, à L’Espace La Risée
Billets disponibles via ce lien.