Août dernier, rien ne va plus. Depuis déjà quelques mois, nous savons que quelque chose ne tourne pas rond, mais quoi exactement? Depuis quelques semaines, nous savons. Nous savons que nous avons besoin d’aide et que notre fils souffre d’un trouble alimentaire. Mais voici les difficultés qui font obstacle à sa prise en charge: il a 10 ans, c’est un garçon, il est très sportif, il mange (peu, mais il mange), il ne se fait pas vomir, il ne prend pas de laxatif, et nous habitons en région. Bref, nous ne correspondons pas du tout au stéréotype et peu de ressources sont disponibles.
Notre quotidien s’est transformé petit à petit. On dirait même qu’on s’est habitué aux changements. Restrictions alimentaires, exercices physiques intenses… C’est l’été. Les enfants sont en vacances et nous ne sommes pas toujours avec eux. Ils vont voir leurs amis au village, profitent de la piscine et des bons fruits de la saison. L’anorexie est cependant bien installée chez nous. Plus les jours avancent, plus on constate que l’état physique et psychologique de notre fils se détériore. Début août, la famille élargie s’inquiète, nous questionne. À ce moment, nous cherchons activement de l’aide, mais nous ne sommes pas pris au sérieux vu les circonstances. Mon fils n’a jamais été aussi en forme de toute sa vie. Il performe plus que bien dans son sport et on se fait complimenter chaque jour ou presque. Il est fort, il est grand, il fait preuve d’une détermination hors du commun. Aussi, à la maison, il est de plus en plus serviable. Il a toujours été très gentil, mais là, c’est plus que pas assez. Il veut toujours aider, préparer les repas, faire les travaux extérieurs, rendre des services, etc. Parallèlement à cela, il fait des crises monumentales dès qu’il est question de repos ou d’alimentation. Pour nous, les parents, c’est particulièrement déstabilisant. Notre fils a toujours bien fait, c’est un garçon un peu anxieux mais tellement gentil, qui s’est toujours bien conformé aux règles, et très talentueux dans tout ce qu’il entreprend. Il veut être parfait. Nous avons toujours été fiers de lui et n’avons pas l’impression de lui avoir imposé une quelconque pression pour performer. D’ailleurs, son frère ne lui ressemble pas du tout.
Fin août, c’est l’effondrement. L’entourage se questionne, nous questionne. Après avoir consulté un kinésiologue, une nutritionniste, quelques psychologues, quelques travailleuses sociales, une pharmacienne, un médecin, une infirmière clinicienne, une clinique privée… Le jour de son onzième anniversaire, j’écoute le cœur de mon fils (une tradition ici) et mon cœur se tord de douleur. Nous sommes rendus trop loin. Je sais que nous devons maintenant aller directement à l’urgence. C’est urgent. Quatre jours avant, ses signes vitaux ont été vérifiés par une professionnelle et tout semblait correct. La semaine avant, il a même eu une pratique de hockey. Mais là, c’est dangereux, nous craignons le pire.
Nous décidons d’aller directement à l’hôpital Sainte-Justine dans l’espoir d’être cette fois pris au sérieux. J’ai préparé les effets personnels de mon fils au cas où ils l’hospitaliseraient. Encore là, mon conjoint n’est pas convaincu qu’ils vont le garder. Nous n’avons tellement pas été pris en considération depuis le début, qu’il n’est pas certain que cette fois nous aurons de l’aide. Je le comprends.
L’annonce du diagnostic
Nous passons au triage, l’infirmier s’inquiète, nous regarde et nous demande si nous savons à quoi nous attendre. Nous sommes du côté des cas prioritaires. Nous n’allons même pas nous asseoir dans la salle d’attente, on nous dirige directement dans une salle de consultation. Nous passons avant des enfants qui semblent très mal en point. Vingt minutes plus tard, nous voyons un pédiatre. Nous commençons à comprendre l’ampleur de la situation. Il nous envoie aux prélèvements sanguins et lui fait passer un électrocardiogramme. Ils ne veulent pas qu’on marche dans l’hôpital, sauf pour aller manger. Nous devons revenir le plus tôt possible dans une salle sous observation, au cas où… Au cas où quoi? Au cas où mon fils ferait un arrêt cardiaque! On continue de comprendre. Un papier rose arrive, accompagnée d’un médecin. La femme explique à notre fils qu’il est impossible de retourner à la maison car sa vie est en danger. Mon fils pleure avec le peu d’énergie qui lui reste; il s’oppose avec un semblant de résistance, épuisé. Nous, les parents, on essaie de rester forts et de lui dire que tout va bien aller. Notre cœur est rempli de toutes sortes d’émotions. Soulagés d’être enfin pris en charge, insécurisés devant l’inconnu, apeurés à l’idée que notre fils meurt, nous sentant coupables d’avoir attendu si longtemps… On nous explique brièvement les prochaines étapes. Les mots se bousculent dans notre tête comme dans un film. Nous sommes les spectateurs de notre vie. On nous remet le papier rose sur lequel est écrit un seul mot à la main, dans la case diagnostic : ANOREXIE. Mon chum me regarde, ses yeux me parlent et veulent me dire tout et rien en même temps. C’est comme si on venait de recevoir un coup de massue dans le front. Comme dans la publicité où les gens apprenaient un diagnostic de cancer. Même sentiment.
L’hospitalisation
Les premiers jours d’hospitalisation, son état continue de se détériorer. Après une semaine, son cœur va mieux, mais ses reins ne répondent pas très bien à l’appel. On rencontre le spécialiste. Ses organes ont été affectés, surtout les reins. Nous devons être patients et espérer que le temps arrangera les choses. Les semaines passent, on s’ennuie, c’est très difficile de laisser son enfant pour la première fois, surtout qu’on sait très bien qu’il ne va pas bien. Il lutte continuellement, la maladie l’obsède et le possède complètement. À chaque semaine, nous lui rendons visite quelques soirs selon les horaires. À chaque semaine il nous supplie de le ramener à la maison. Il se pend après moi, pleure et ne veut pas me laisser partir. Il nous en veut de l’avoir amené à l’hôpital. Un jour il comprendra, j’imagine. Pendant les onze semaines d’hospitalisation, nous rencontrons les spécialistes, nous participons à des rencontres d’information sur la maladie, nous lisons, écoutons tout ce qu’on trouve pour nous outiller le plus possible pour essayer de comprendre ce qui nous arrive. Nous parlons avec d’autres parents, des amis, personne n’est insensible à notre situation. Par contre, plusieurs ne comprennent pas la maladie. Tout le monde cherche les bons mots. Un jour, je suis allée porter mon autre fils chez un ami et, voyant mon état, les parents m’ont demandé ce qui se passait. Lorsque j’ai expliqué la situation, la réponse du papa fut : « Au moins, ce n’est pas le cancer. » Cette phrase m’est restée dans la tête depuis. Ce n’est pas le cancer d’une partie du corps, c’est vrai. L’anorexie, c’est le cancer de l’âme. C’est une maladie mentale qui va à contre-nature. C’est de voir son enfant essayer de mourir un peu plus à chaque jour. C’est d’expliquer à son enfant qu’il se détruit en utilisant 2000 façons dans l’espoir qu’il comprenne avant qu’il ne soit trop tard. C’est la maladie mentale avec le plus haut taux de mortalité, soit entre 10 et 15 %. On vaccine l’Amérique du Nord pour des maladies dont le taux de mortalité est bien moins élevé. C’est une maladie qui implique les parents dans ce combat au moins 5 fois par jour. C’est une maladie qui fait sentir les parents coupables, qui remet en question tout le vécu familial que tu as offert à ton enfant depuis sa conception. C’est une maladie qui t’implique comme parents dans la guérison, donc dans l’échec aussi. C’est une maladie qui te confronte chaque jour, qui brise des familles et qui atteint directement ta confiance en toi. C’est aussi une maladie qui travaille ta patience et qui t’apprend à vivre au jour le jour. C’est une maladie qui ne te permet plus de juger personne sur quoi que ce soit. C’est une maladie qui se guérit totalement une fois sur trois. C’est une maladie qui a souvent des récidives.
Nouveau: groupes de soutien fermés pour les proches, inscription dès maintenant. Début des groupes mercredi le 24 octobre 2018, faites vite!
Et aujourd’hui?
Notre fils est revenu à la maison depuis 3 mois. Les deux premiers se sont relativement bien passés. Depuis un mois, c’est très difficile. La perte de poids a ramené les obsessions et nous sommes retombés dans le cercle vicieux de cette maladie de merde. Nous sommes tristes et épuisés. Notre fils aussi. Notre autre fils aussi. Nous avons resserré le suivi à Sainte-Justine. Ils font vraiment du bon travail, on se sent bien épaulés. C’est au moins ça. La journée d’aujourd’hui a été particulièrement difficile. J’ai même amené mon fils voir une femme qui travaille avec les énergies, au cas où. Nous n’avons plus rien à perdre. Notre prochain rendez-vous est vendredi. Si nous sommes capables de tenir jusqu’à ce jour, car mon fils souffre énormément. Aujourd’hui c’est mardi, parce qu’il est 5 h. Je suis incapable de dormir. Je pense à ce que je mettrai dans la valise de mon gars. À comment on va faire pour le tenir dans la voiture pendant deux heures sachant très bien qu’il a une peur bleue de l’hôpital. Sachant aussi que je devrai me séparer de lui encore une fois et qu’il a mal en dedans. Ce n’est pas humain. C’est atroce. Cette nuit, je vous jure, je choisirais un cancer, ne serait-ce que pour lui permettre un autre mal. Un répit pour sa tête et son coeur. Pauvre amour.
Une maman qui a le cœur aussi gros que son sentiment d’impuissance.
ANEB offre désormais des groupes de soutien fermés pour les proches, dans la région de Montréal et ses environs. Ces groupes sont d’une durée de 8 semaines, à raison de 1 rencontre de 3 heures par semaine. Les groupes pour les proches représentent l’occasion d’entamer une réflexion quant à votre rôle dans le cheminement de votre être cher, tout en ayant du soutien et une écoute de la part d’autres personnes qui rencontrent des difficultés semblables aux vôtres. Les groupes débuteront le 16 mai. Il est présentement temps de vous inscrire.
Pour plus d’infos: http://anebquebec.com/services/groupe-de-soutiens-fermes/pour-les-proches
Pour vous inscrire aux groupes ou pour toutes questions: 514-630-0907 (Montréal) ou 1 800-630-0907 (ailleurs, sans frais) ou par courriel avec M. Jérôme Tremblay: [email protected] .
Les groupes de soutien fermés pour l’automne 2018 débutent le 24 octobre.
Article mis à jour le 9 octobre 2018