Par Judith Petitpas, travailleuse sociale et Geneviève Arbour, diététiste-nutritionniste
Il existe chez les personnes souffrant d’un trouble alimentaire une constance dans leur témoignage : elles font toutes l’expérience d’une dualité dans leur discours intérieur. La voix saine et la voix malsaine. Celle qui incite à se rétablir et celle qui les pousse encore plus loin dans le trouble alimentaire. Deux voix qui se chamaillent sans relâche et qui accentuent la difficulté à s’en sortir.
Les voix de l’hyperphagie boulimique
Les personnes qu’on accompagne souffrent en grande partie d’un trouble alimentaire nommé l’hyperphagie boulimique (ou le trouble d’accès hyperphagiques). Ce sont des gens qui ont des rages alimentaires importantes sans utiliser de méthode pour compenser la trop grande quantité de nourriture ingérée. Ce sont généralement des gens qui ont un passé de régimes impressionnant et dont le poids a souvent fait le yoyo. Elles ressentent une profonde insatisfaction corporelle.
Comme pour les autres troubles alimentaires, ces personnes sont aussi tourmentées par deux discours. Il y a celui qui leur dit que la nourriture est leur ennemie, qu’elle est la cause de leur gain de poids et de leurs malheurs ou, au contraire, la nourriture est réconfortante, si bonne et apporte tant de plaisir.
Tu vois comment ça peut être difficile de s’en sortir quand on est constamment écartelé entre ces deux voix intérieures?
Nos équations magiques!
On ne te cachera pas que le travail sur le rétablissement peut être long. Mais il est aussi bénéfique et libérateur. Plusieurs personnes s’en sortent. C’est la bonne nouvelle ☺
Pour t’aider à amorcer ta démarche, on veut te partager nos trois équations. Ce sont nos bases, nos phares, avec lesquels on travaille constamment lorsqu’on accompagne les gens pour sortir de l’hyperphagie boulimique. Donc, il faut que tu saches que :
– Plus tu vas être satisfait.e de ce que tu vas manger, moins tu vas avoir besoin d’en manger en grande quantité.
– Plus tu vas être satisfait.e de ta vie, moins tu vas avoir besoin de compenser par la nourriture.
– Plus tu vas être connecté.e à ton corps, moins tu vas le laisser se détériorer.
En gardant ces trois équations en tête, tu peux commencer à écouter tes voix intérieures conflictuelles. Écoute ce qu’elles te disent, l’une comme l’autre. Ce qu’elles ont à te dire est important. Il s’agit de renseignements fondamentaux sur toi.
Que faire avec ces voix?
On te présente un exemple pour chacune des équations et notre point de vue en tant que nutritionniste et travailleuse sociale. Ça te permettra peut-être de conscientiser davantage les tiennes.
Plus tu vas être satisfait.e de ce que tu vas manger,
moins tu vas avoir besoin d’en manger en grande quantité.
La majorité des personnes qui souffrent de rages alimentaires ressentent de la culpabilité au fait de prendre plaisir à manger ces aliments. C’est, pour elles, un « plaisir coupable ». Mais il faut savoir que ces aliments sont savamment développés par les fabricants pour être très palatables : ils procurent une grande satisfaction en bouche et stimulent notre système de récompense au cerveau. Il est donc normal qu’on les apprécie autant! Manger est un grand plaisir. On a qu’à perdre le goût et l’odorat quelques jours pour prendre la pleine mesure de la satisfaction que la nourriture apporte à nos vies.
Le fait de s’interdire ces aliments a plutôt l’effet de les charger émotivement. Ça leur donne du pouvoir et de la force. Lorsqu’on «succombe», au bout d’un moment où la frustration devient trop grande et le plaisir en bouche trop boudé, la stimulation du système de récompense et la charge émotive font en sorte que d’écouter son rassasiement devient quasi impossible. On dit que c’est l’interdit qui engendre les obsessions, qui, elles, engendrent des compulsions.
Ainsi, il serait préférable de répondre à ces voix de la manière suivante : «Plus je vais m’autoriser régulièrement à manger des cochonneries, plus je pourrai en manger des portions normales. Je n’ai pas besoin de me couper de ce grand plaisir de manger ces aliments si savoureux et agréables. Aucun aliment ne fait prendre du poids, tout est dans l’équilibre.» ☺
Plus tu vas être satisfait.e de ta vie,
moins tu vas avoir besoin de compenser par la nourriture.
Les gens qu’on accompagne sont souvent des gens gentils, généreux et dévoués. Ils sont en général agréables à côtoyer. Mais ce sont aussi des gens qui ont de la difficulté à reconnaître la limite entre le dévouement et le sacrifice de soi. Ils peuvent ainsi ressentir de l’amertume à l’idée de donner plus qu’ils reçoivent.
Soyons claires, ces personnes sont en général contentes d’aider les autres. Elles le font de bon cœur. Mais il y a parfois un point de bascule, un moment où elles tombent dans le don de soi excessif. C’est l’une des émotions qui est souvent «mangée» chez les gens qui souffrent d’hyperphagie boulimique. C’est aussi l’un des aspects qui fait que la vie est moins satisfaisante – avoir l’impression d’être constamment au service de l’autre.
Compenser dans la nourriture peut donc devenir la réponse aux manques associés au don de soi excessif.
Ainsi, il serait préférable de répondre à ces voix de la manière suivante : «Il est vrai que j’aime prendre soin des autres, les aider. Par contre, je dois aussi faire attention de prendre soin de moi équitablement, ce qui n’est pas de l’égoïsme. Prendre soin de soi ne revient pas à ne plus s’investir dans les autres, c’est se donner aussi une place.» ☺
Plus tu vas être connecté à ton corps, moins tu vas le laisser se détériorer.
Depuis quelque temps, les experts du domaine de l’obésité et du surpoids remettent en doute l’idée de modifier la corpulence pour améliorer la santé. En fait, il serait plus avisé de miser sur l’adoption de saines habitudes de vie.
Si l’on adopte cette vision, on peut miser sur des activités agréables que l’on apprécie et qui auront un impact positif sur sa santé. Dès lors, on bouge par plaisir avec moins de pression. L’envie de s’y adonner régulièrement vient plus naturellement. Toutefois, il faut savoir que le poids est un phénomène complexe impliquant plusieurs facteurs qui interagissent les uns avec les autres. L’alimentation et l’activité physique sont deux de ces facteurs, mais ne suffisent pas à eux seuls à réguler le poids d’une personne.
Ainsi, il serait préférable de répondre à ces voix de la manière suivante : «Il est vrai que c’est décourageant de faire des efforts et de sentir que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Je vais donc continuer d’être active, mais en choisissant des activités qui me stimulent et m’apportent du plaisir. J’aurai ainsi tous les bienfaits sur ma santé mentale.» ☺
Voilà, on espère que ces exemples te permettront de conscientiser davantage tes voix intérieures. Ou que ce texte pourra te permettre de mieux comprendre ceux qui souffrent d’hyperphagie boulimique. À ce sujet, si tu veux en savoir plus sur l’hyperphagie boulimique, tu peux consulter nos livres :
Lundi, je ne me mets plus au régime!
C’est notre façon de faire notre part pour aider les personnes aux prises avec cette difficulté…
psssst :
On veut aussi te dire qu’on a également mis sur pied un autosoin pour aider les gens à cesser les rages hyperphagiques : La Méthode Lundi.
Et à l’occasion de la Semaine nationale de sensibilisation aux troubles alimentaires, on a aussi conçu un mini autosoin sur les rages alimentaires. Si tu t’inscris, tu recevras par courriel un exercice à faire par jour, durant 7 jours. Il est entièrement gratuit ☺ !
J + G
www.judithgenevieve.com | [email protected]
Merci de publier ce texte tellement juste. Il traverse les frontières :mes patients français vivent la même souffrance qu’au Québec. Cela les amène trop souvent à de la chirurgie bariatrique qui souvent les déçoit voire les désespère.
Merci Marie Claire, pour votre commentaire et votre implication envers vos patients français. Cette souffrance dépasse effectivement les frontières, c’est pourquoi nous trouvons qu’il est primordial d’ouvrir la discussion.