« Comment as-tu pu? Comment as-tu pu te rendre là, hein? Ces yeux tout bouffis, minuscules; ces sourcils si mal définis qui existent à peine, juste assez pour nous dégoûter; ce visage enflé, cette face de bébé avec les joues toutes gonflées… Les filles à ton école, y’en n’a aucune qui ressemblent à ça. Et quand elles se font des couettes, on ne voit pas qu’elles ont des quadruples mentons, elles. Comment as-tu pu te laisser aller? Manger ces desserts alors que tu le savais, t’asseoir devant ta télévision tandis que tu aurais pu aller courir…?! Tu es ridicule, pathétique. Et puis oui, tu le sais, on te l’a tellement répété, les mannequins sur les affiches ne sont pas reflet de la réalité. Oui, mais. Oui, mais ces filles qui bondent les couloirs de l’école, elles ne sont pas sur des affiches, et pourtant… Et puis il y a toi. Qui es-tu, dans cette foule au ventre plat, aux cuisses bien proportionnées, au visage fin? Oh et ce n’est pas que toi, oh non! C’est aussi le monde entier, qui s’immisce dans ta tête, te criant après à t’en briser les oreilles que, sans maquillage, tu n’es pas celle qu’ils veulent voir. Tu n’es pas pas celle qui plaît, celle qui mérite d’être populaire, celle qui peut prendre un selfie et l’afficher sur Instagram », se disait-elle, en boucle.
« Sauf que tu n’es pas cette fille, personne ne l’est, bien que l’on essaie toutes de le prétendre. Tu ne viens pas avec du maquillage, précommandée pour plaire à ceux que tu croises dans la rue. Tu n’es pas cette fille, aux lèvres rouges en se levant, aux cils allongés, bien noirs, sous la pluie. Tu n’es pas cette fille, peut-on enfin l’entendre? Peut-on cesser cette mascarade, cesser de tous faire semblant que oui, nous sommes ces personnes parfaites. La perfection, elle n’existe pas. Ni eux, ni toi, ni moi: nous ne sommes pas parfaits et ce n’est pas en nous barbouillant les yeux ou en nous peignant les lèvres qu’on va l’être. Toi, qui te regardes depuis maintenant de longues, interminables minutes dans le miroir… t’es belle, tsé. On te l’a pas assez dit, je pense. T’es belle pis mets-en, du maquillage, si c’est ce que tu veux. Ça ne fait pas plaisir, au fond, de mettre en valeur ce que l’on aime bien chez nous? Mais gare à toi, fais bien attention! Si tu te regardes dans le miroir, c’est pour sourire à la merveilleuse personne que tu es. C’est flou, tu ne trouves pas? C’est flou, tes espoirs noyés dans l’abîme de ces larmes que tu n’oses laisser couler, faible que tu serais. Mais tu mérites plus que ça, tu mérites de voir clair, de voir la vérité, pas ce qu’on dit de la beauté. Et si tu te maquilles, c’est pour te sentir mieux, pour ton petit plaisir personnel, pas pour prouver quoi que ce soit aux autres », lui disait-on, maintenant qu’elle avait eu le temps d’enregistrer le contraire. Mais on le lui répétera. On le lui dira tant qu’elle ne nous croira pas. Il le faut. Sinon, où donc irait-on? On en a besoin, de cette humanité, cette splendide diversité. On a seulement mis trop de temps à le réaliser…
Anna-Maude Zurbuchen, 15 ans.