J’ai souffert pendant plusieurs années d’un trouble alimentaire qui m’a menée au bord du gouffre physiologique, psychologique, affectif, social… bref, mon trouble alimentaire avait pris le contrôle de ma vie pendant beaucoup trop longtemps. Chaque jour je détestais mon corps un peu plus, je le méprisais, je le punissais, je le détruisais. Et à 25 ans, j’ai frappé le fond du baril. Qu’il est profond… Qu’il est sombre… Qu’il est épeurant… Juste y repenser me donne le vertige.
J’en parle au passé parce qu’en 2004 je suis entrée en traitement et j’ai commencé mon rétablissement. Le chemin du rétablissement est long et parsemé de difficultés, mais il en vaut la peine. Ça ne se fait pas du jour au lendemain, mais il y a toutes ces petites et plus grandes victoires que j’ai pu célébrer: le premier latté avec du lait 2%, le premier repas mangé avec des amis sans trop stresser, l’arrêt des laxatifs, le jour où j’ai jeté ma balance, le retour à un poids santé. Puis il y a eu ce jour où je me suis sentie un peu moins laide. Puis celui où je me suis sentie un peu moins vide. Puis celui où je me suis sentie un peu heureuse.
Au cours des années, j’étais de mieux en mieux, de plus en plus solide, de plus en plus moi. Mon mode de vie était plus sain que jamais : alimentation équilibrée, poids stable, arrêt de la cigarette. Je n’avais jamais été sportive ou en forme, mais en 2010 l’activité physique était simplement la suite logique à ce nouveau mode de vie et je me suis inscrite à un triathlon sprint pour me motiver. Je me suis souvent demandée pourquoi je m’entraînais, pourquoi le triathlon alors que je n’avais jamais été sportive de ma vie. Je ne voulais surtout pas que cette passion soit en fait une façon insidieuse de retourner vers les troubles alimentaires.
L’an dernier j’ai finalement compris. Après un entrainement particulièrement exigeant pendant lequel j’avais très bien travaillé, je me souviens avoir remercié mon corps de m’avoir permis de me réaliser ainsi. À ce moment très précis, j’ai réalisé que je devais cesser de détester mon corps pour son apparence et que je devais plutôt l’aimer pour ce qu’il me permet d’accomplir. Ce jour-là, j’ai commencé à aimer mes bras pour m’avoir permis de nager vite, à aimer mes jambes pour m’avoir fait courir loin, à aimer mes cuisses pour avoir pédalé fort. À 32 ans, pour la première fois de ma vie, j’aimais mon corps. Je venais de comprendre que plus je respecte mon corps, plus il me permet d’aller loin et de me réaliser. C’était la première fois que je faisais quelque chose pour moi et non pour plaire aux autres, juste parce que j’avais du plaisir, que ça me rendait heureuse et que je me sentais bien.
Cette année, je m’étais lancée un défi de taille : faire un premier demi-ironman. Cette course avait une signification bien personnelle et c’était la célébration ultime de mon rétablissement. Plus de huit ans après avoir frappé le fond du baril, je pouvais enfin célébrer la relation plus harmonieuse que j’avais avec mon corps et ma passion pour le triathlon. Les apprentissages faits sur le parcours de mon rétablissement me servaient désormais sur le parcours du sport d’endurance : la détermination, le désir de réussir, prendre les difficultés une à la fois, la célébration des petites et plus grandes victoires. Je savais que chaque coup de bras, chaque coup de pédale, chaque foulée me rapprocheraient de la ligne d’arrivée.
Le jour J, j’ai eu le sourire collé au visage tout le long du parcours. Je ne m’étais jamais sentie aussi bien de toute ma vie. Quand j’ai passé la ligne d’arrivée, j’étais extrêmement émue. Le sentiment est dur à expliquer mais à ce jour, il s’agit probablement du moment le plus significatif de ma vie, l’accomplissement personnel ultime, la confirmation que je suis sortie de ce trou noir qui m’a absorbée pendant si longtemps. Le grand coureur Steeve Prefontaine a déjà dit: “ Success isn’t how far you got, but the distance you traveled from where you started ”. C’est tellement vrai et c’est pour ça qu’aujourd’hui, lorsque je regarde en arrière, je suis fière du chemin parcouru.
Justine Brousseau, blogueuse invitée
Merci d’avoir partagé ce moment 🙂
Et félicitations pour ton objectif
Ton témoignage m’a fait monter les larmes aux yeux. Félicitation pour ta persévérance je t’admire beaucoup.