Il est 1:06 du matin au moment où j’écris ces lignes. Je viens d’assister, avec une amie, au concert de Lady Gaga, au Centre Bell, dans le cadre de sa tournée « ArtRAVE : The Art Pop Ball ». Paradoxalement, sur le chemin du retour, je terminais la lecture, dans le train, de La revanche des moches, le premier essai de Léa Clermont-Dion. L’ouvrage m’a beaucoup captivée et portée à réfléchir.
D’abord, il faut dire que Stefani Joanne Angelina Germanotta (de son vrai nom) a conquis ses petits monstres et la planète en 2008, avec son album The Fame. Rapidement, son nom était sur toutes les lèvres et les journalistes se plaisaient à la comparer à Christina Aguilera, Gwen Stefani ou Madonna. Elle a récidivé successivement avec les albums The Fame Monster, Born This Way et plus récemment, ArtPop.
C’est qu’il y a un lien fort qui unit Gaga et ses fans. On sent chez elle une réelle (ou suis-je peut-être naïve ?) empathie pour les millions d’histoires que chacun et chacune d’entre eux ressentent le besoin de lui confier. Elle leur dit « Don’t hide yourself in regret, just love yourself and you’re set. » (Ne te cache pas derrière les regrets, aime-toi et tu es prêt. » C’est que Gaga a elle aussi souffert. Dans la foulée d’articles de magazines à potins qui ont rapporté une prise de poids pour Lady Gaga, la chanteuse a révélé en 2012 qu’elle a souffert de troubles alimentaires étant plus jeune.
Alors, comment expliquer qu’aujourd’hui, Gaga contribue en partie à l’industrie qui l’a elle-même aliénée? Sur des mélodies certes accrocheuses, bon nombre de jeunes filles, sans toujours comprendre le sens des paroles, l’écoutent chanter des choses comme « Do what you want with my body. » (Fais ce que tu veux avec mon corps) ou encore « Last night, damn, you were in my sex dreams doing really nasty things. » (La nuit dernière, tu étais dans mes rêves sexuels, en train de faire des choses vraiment « cochonnes »). Entre des chansons où l’on parle d’acceptation de soi peu importe nos différences (Born This Way), la réputation de Gaga quant à ses références à connotation sexuelle dans sa musique et son image n’est plus à refaire. Il suffit de penser à sa performance au MTV Video Music Awards de 2013 ou elle s’était déhanchée en g-string. Est-ce une certaine forme d’émancipation que Lady Gaga cherche à défendre ? Il y a lieu de se questionner. Ce qui est le plus troublant est que Gaga, lors d’un festival, s’est littéralement fait vomir dessus de façon intentionnelle par l’artiste Millie Brown. Ce geste minimise les conséquences des comportements compensatoires (tels que la purge). De plus, il peut les rendre acceptables aux yeux d’une population à risque de développer un trouble alimentaire.
Dans son premier essai La revanche des moches, Léa Clermont-Dion analyse, dans un de ses chapitres, le phénomène Gaga avec un admirateur « anonyme » de la vedette mondiale. Elle y aborde de façon plus large notre obsession collective de l’apparence et de la beauté. Elle le dit clairement d’entrée de jeu, « ce n’est pas une enquête, c’est ma quête ». Léa a elle aussi souffert. Elle a plongé dans les abîmes de la maladie mentale, alors qu’elle n’avait que 12 ans. « L’anorexie est assassine », écrit-elle. Car oui, Léa a voulu mourir. Les pages de son journal intime qu’elle glisse courageusement dans son livre en sont témoins. Aujourd’hui Léa est rétablie. Elle a voulu se questionner sur les raisons pour lesquelles elle, et tant de gens, se trouvent moches en comparaison des standards de beauté établis dans la société. Une société qui nous donne l’illusion d’être libres, alors que nous vivons une réelle dictature sur cet aspect. Léa a d’ailleurs offert une conférence à l’assemblée générale annuelle d’ANEB Québec, en 2011.
Léa Clermont-Dion a une feuille de route qui impressionne. En plus de son essai qui est actuellement parmi les meilleurs vendeurs au Québec, elle est la co-instigatrice de la Charte pour une image corporelle saine et diversifiée qui s’est rendue jusqu’à l’Assemblée nationale, à la ministre St-Pierre, sous le gouvernement Charest. Une première en Amérique du Nord. Féministe depuis son enfance, elle a œuvré de différentes façons pour soutenir la cause des femmes. Sa pétition contre un concours de mini-miss à Laval, lancée avec Alain Vadeboncoeur et Ianik Marcil, fait partie de sa longue fiche de réalisations. Plus récemment, elle est devenue blogueuse pour Châtelaine et Sympatico.ca. Son documentaire « Beauté fatale » sera prochainement diffusé sur Télé-Québec. Rappelons que Léa Clermont-Dion n’a que 23 ans.
Son essai, dans lequel on y retrouve des conversations fortes intéressantes avec diverses personnalités publiques du Québec (Pierre Lapointe, Ariane Moffat, Bianca Gervais, etc.) et d’autres moins connues (Maryse Deraîche qui avait touché le monde du web avec son texte poignant « Qui perd gagne »), n’a pourtant pas fait que des heureux. Léa a essuyé plusieurs critiques. L’une des critiques concerne la non-représentativité de l’éventail d’intervenants avec lesquels elle s’est associée. De plus, elle est critiquée quant au paradoxe qu’elle suscite, mais qu’elle dit assumer. Car elle avoue être coquette, comme bien des femmes. On lui reprochait aussi le fait de ne pas avoir de personnes issues des minorités visibles dans son livre. Ou de ne pas représenter un éventail plus large du féministe, car il existe différentes formes de féminisme. À cela, Léa a solidement répondu.
Je crois qu’elle a tout de même réussi son pari. Celui d’ouvrir le débat sur une question qui nous touche tous. Dans son essai, Léa nous amène à réfléchir, à nous montrer critique face à ce qui nous semble si normal, voire banal, tant ces images et messages sont intégrés dans nos esprits, nos discours et notre culture. À mon avis, il est sain de nous questionner sur notre « maladie mentale » collective, sur cette obsession que nous avons du paraître et du beau et de notre difficulté à nous en défaire. C’est peu dire que la pression est forte, chez les femmes et de plus en plus chez les hommes.
L’essai, solidement monté, est divisé en différentes parties, chacune avec une signification bien particulière. Les mains traitent notamment de la marchandisation du corps, les pieds des origines de notre culte de la beauté à travers le temps, le visage du maquillage, etc. On y critique également cette fâcheuse tendance à donner une responsabilité individuelle et personnelle aux gens qui souffrent d’obésité. Cette facilité avec laquelle on les ostracise, que ce soit dans les lieux publics ou encore sur le marché du travail. Comme s’ils n’étaient que des paresseux qui n’avaient qu’à se botter le derrière. Alors qu’au fond, la question est beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît. On n’a qu’à penser à la récente pétition qui sommait le ministre de la santé Gaétan Barrette de perdre du poids pour « prêcher » l’exemple.
L’essai aborde aussi différents points de vue sur la chirurgie esthétique, sur les métiers dans lesquels on peut retrouver une pression plus ou moins forte à se fondre dans le moule, en plus d’émettre diverses hypothèses pour lesquelles cette pression semble beaucoup plus omniprésente chez les femmes.
De passage à l’émission Deux hommes en or, animée par Patrick Lagacé et Jean-Philippe Waulthier, quand on a demandé à Léa ce qu’elle dirait à la jeune Léa et bien elle a tout simplement répondu « Je t’aime ». Car elle ne s’aimait pas, à cette époque. Et parce que l’amour de soi dans toute son entièreté est l’un de meilleurs gages de protection contre la folie insidieuse qu’est la spirale infernale des troubles alimentaires.
Quelle entrée intéressante! J’aime beaucoup ton style d’écriture. C’est clair et sensé. Ça me donne vraiment envie de lire le livre de Mme. Clermont-Dion.
Hihi, « Madame » Clermont-Dion trouverait cela peut-être drôle que vous l’appeliez ainsi parce qu’elle n’a que 23 ans !
😉