Extrait de mon journal – Avril 2014
« Je n’en peux plus d’avoir peur, de compter les calories. Je n’en peux plus, je veux tellement guérir, je me sens ridicule, j’ai honte de piétiner depuis aussi longtemps. »
Extrait de mon journal – Août 2014
« En ces 52 semaines, j’ai compris qu’en tombant malade, je n’avais pas fait le bon choix. Je pensais avoir raison, j’avais tort. Je ne recommencerais pas, du moins, je le crois. Je veux vivre. En 52 semaines, j’ai compris que pour vivre, je devais guérir. Les plaisirs reviennent avec le corps qui grossit. Le sport que je faisais autrefois reviendra, mais pour le moment, un petit pas à la fois. Je ne veux pas mourir de ça, mais j’ignore ce que l’avenir me réserve. »
Extrait de mon journal – Janvier 2015
« Je veux m’en sortir, mais cette solitude me tue. J’ai peur de ne jamais retrouver mon équilibre. On dirait que juste être moi, ce n’est pas correct. »
Aujourd’hui – Janvier 2022
« J’écris depuis l’âge de 14 ans. Depuis ma première hospitalisation pour mon trouble alimentaire en 2012. Je me souviens encore des ateliers d’écriture, les lundis après-midi. Après ça, j’ai écrit des années durant.
Je me suis écrit des lettres pour guérir. Je pense que la maladie m’a coupé du monde réel. Elle m’a plongé dans un monde en limbo dans lequel je n’arrivais pas à connecter avec les jeunes de mon âge et dans lequel les adultes ne me comprenaient pas.
À l’âge auquel on développe notre identité, la mienne a été prise par la maladie mentale. En 2014, je croyais encore que j’avais fait ce choix : celui de devenir anorexique. Presque dix ans plus tard, je regarde mon adolescence avec des yeux adultes avec une empathie que je n’avais pas à l’époque. Je pense qu’avec la maladie, on se juge pour notre incapacité à guérir, à manger. À un certain point, on comprend, rationnellement, les impacts que nos comportements peuvent avoir sur nous et les autres. Émotionnellement, c’est différent. J’avais 14 ans quand j’ai pris la décision de guérir. Cela m’a pris quatre années supplémentaires pour y arriver.
J’ai été intransigeante dans mon processus de guérison, c’était tout ou rien. C’était « manger ou ne pas manger. C’était la prise de poids ou le statu quo, parfois même la perte de poids. Avec le recul, j’ai compris que la guérison était un processus qui n’était pas linéaire. Je me suis retrouvée seule, bien trop souvent, avec mes démons. Je ne compte plus les fois où je me suis endormie en pleurant parce que j’étais incapable d’accepter que je m’étais nourrie, parce que mon corps me semblait difforme, parce que la balance avait indiqué un chiffre que je ne voulais pas voir. Aujourd’hui, je peux mettre des mots sur ce que j’ai vécu, comment je l’ai vécu. Avant, je n’avais pas les mots. Je pense que la souffrance était trop présente.
J’ai 23 ans aujourd’hui. Je vais mieux. Je sais parler, mettre des mots sur mes émotions. Je relis souvent les mots de mon moi de 14 ans qui voulait vraiment guérir et qui n’y arrivait juste pas. Et c’est correct. Pour certains, ça prend quelques mois, pour d’autres, quelques années. Chaque histoire est différente, chaque histoire a une certaine souffrance inexplicable qui l’accompagne. Mais la tristesse est temporaire. Un jour, ça va mieux. Aujourd’hui, les plaisirs sont vraiment revenus avec mon corps qui a changé. Aujourd’hui, je fais du vélo, je profite de la nature avec de belles randonnées et je nourris ce corps pour lui permettre de vivre. Je vis, j’existe dans l’apparence que mon corps a voulu avoir. Et c’est correct. C’est correct de faire la paix avec soi, avec ses démons. Ils me parlent parfois, mais je ne les écoute pas parce que la vie est plus belle quand je ne m’écris pas des lettres pour guérir. »
– Sabrina