Noël 2019. Comme à chaque année, j’ai mis ma plus belle robe pour aller dans ma
famille. Cette année-là, j’y avais ajouté un cardigan assez épais en espérant qu’il me
servirait de bouclier contre quelconque remarques ou même au mieux, qu’il me rendait
invisible. Les gens dans ma famille savaient que j’étais malade et je sentais leur yeux
remplis de bonne volonté et de maladresses me supplier du regard de guérir sur le
champ, parce qu’après tout, c’est Noël, et tout le monde se sentirais moins mal si je
faisais un petit effort. Si seulement ils avaient su comme j’aurais aimé être capable de
jouer la comédie pour un soir, rassurer tout le monde, qu’on puisse passer à un autre
appel et me laisser m’enfoncer en paix dans mon anorexie mentale. Je me disais qu’ils
ne me comprenaient juste pas.
Pour moi, chaque bouchée venait avec un sentiment de panique qui me montait à la
bouche. Plus le repas avançait, plus c’était la fin de ma prise de contrôle, la fin de mon
corps de rêve, la fin du sentiment de fierté que je ressentais quand je ne mangeais pas.
J’avais aussi cette peur étrange que si ma famille me voyait manger, ils croiraient que je
ne suis pas une «vraie» anorexique, et à ça, je refusais d’échouer. Chaque festin et
chaque rencontre devenait donc un défi, une source de culpabilité. Je me sentais
souvent invisible dans ces moments parce que je ne me sentais pas moi-même,
comme si une partie de moi était absente. Je me sentais tellement seule, et pourtant
j’étais entourée de mes personnes préférés.
Deux semaines plus tard, je rentrais à l’hôpital Ste-Justine sur l’aile de psychiatrie.
J’étais fâchée, triste, confuse… mais je me rappelle du sentiment de soulagement
d’être enfin prise en charge. De me rendre compte que j’étais vraiment allé trop loin et
que ça devait changer. On dirait que j’avais besoin de frapper ce mur. De là s’en est
suivi une longue thérapie, des suivis chez le médecins, des rechutes et un beau cocktail
d’émotions poches. C’était assez rock’n’roll, mais plus que nécessaire.
Aujourd’hui, en repensant à tout cela, je réalise que tout n’a pas été en vain. Si je suis
là, à profiter de ce moment, à m’asseoir autour d’une table sans que la panique ne me
saisisse, c’est grâce à un long chemin parcouru. Les repas de fête ne sont plus un test,
une épreuve. Ils sont devenus une occasion de renouer avec les autres, d’accepter que
la nourriture fasse partie d’un moment de partage, et non d’un combat. Ce n’est pas
facile, bien sûr. Les traces du passé restent parfois là, mais elles ne me définissent
plus. J’ai appris à apprécier la nourriture pour ce qu’elle est : un moyen de nourrir mon
corps, mais aussi mon âme, à travers les conversations, les rires et la chaleur d’être
ensemble.
Il m’a fallu du temps pour accepter que ce n’était pas de contrôle que j’avais besoin,
mais de la guérison, d’amour, et de la patience avec moi-même. Aujourd’hui, les fêtes,
je les vis autrement. Je peux rire sans avoir à penser à chaque bouchée. Je peux
savourer un plat sans y voir une menace, mais une opportunité de me reconnecter avec
ce qui est important : les gens, l’instant présent, et surtout, moi-même.

Pascal Deblois,
Actrice, influenceuse et ambassadrice d’ANEB