Tout a commencé par un régime à 16 ans. Je voulais être mieux dans ma peau. Quelques semaines plus tard, ayant perdu mon excès de graisse, j’avais l’impression de respirer le bonheur. Ensuite, la honte: j’ai tout repris dans un temps record. Après une multitude d’essais infructueux, j’ai découvert la course à pied 3 ans plus tard. Dès lors, commença un rythme de vie lumière/obscurité qui allait me hanter pour très longtemps.
Une journée lumière se caractérisait par « ne manger que santé et faire du sport ». Une journée obscurité se définissait par son triste opposé: « manger mal et aucune activité physique ». Ne pas bien s’alimenter signifiait faire une orgie alimentaire en fin de journée jusqu’à en être malade. Tout fonctionnait par séquence, de sorte que je pouvais passer 2 semaines dans la lumière, mais s’en suivait inévitablement une longue série de jours sombres. Par conséquent, ma silhouette fluctuait constamment: allant d’un extrême (mince) à l’autre (plus gras), plusieurs fois par année.
J’ai tout tenté pour rester au poids idéal que j’aurais souhaité peser. Mon ultime tentative est survenue en 2011, alors que j’ai effectué un tour du monde. J’avais remarqué que lors de voyages précédents, j’arrivais toujours à vivre des jours lumières à l’étranger. J’ai donc décidé de quitter 3 mois (20 pays, 5 continents) pour me défaire de cette fâcheuse habitude. J’ai surmonté énormément d’épreuves durant cette aventure. Résilient, j’ai atteint l’objectif d’être la personne que je désirais être, mais je suis redevenu maigre aussi, beaucoup trop selon mon entourage. Quelques mois plus tard, j’étais redevenu à mon poids d’obèse. Ultime tentative, ultime échec… isolement total pour un an.
Le changement de cap
En janvier 2013, j’ai couru mon 4ème marathon à Disney World. Ce fut magique comme évènement, car les gens y couraient pour l’émerveillement et non pour la performance ou la perte de poids. Je suis revenu de là transformé et déterminé plus que jamais à briser le cercle vicieux qui polluait mon existence. Pour ce faire, j’ai tenté de faire de l’entraînement cardio les mêmes jours que mes orgies alimentaires. À tout prix, je ne voulais pas reprendre ce poids perdu. Ce changement fut trop difficile à gérer. Cette tentative ne représentait pas non plus la solution à un problème qui était beaucoup plus profond. J’ai dû me résigner à aller consulter. Verdict reçu avec stupéfaction: je souffrais depuis 22 ans d’hyperphagie boulimique, nouvellement reconnue comme maladie alimentaire officielle.
En attente d’un traitement à l’hôpital Douglas, j’ai suivi deux groupes de soutien fermés grâce à ANEB. Pendant 30 semaines, j’ai pu côtoyer d’autres personnes souffrant également d’un trouble alimentaire. J’ai surtout pu échanger sur les enjeux et les aspects de la vie qui font continuellement carburer ma dépendance à la nourriture. Introverti de nature, ce fut un grand défi mais j’ai réussi tout de même à sortir de ma coquille et ainsi soutirer d’importants bénéfices de ces 2 groupes.
Ensuite, j’ai débuté le traitement à Douglas où je fus confronté à une dure réalité : je ne mangeais pas assez lors de mes soi-disant jours lumières. En fait, j’étais en sévère restriction alimentaire. J’ai dû apprendre à déjeuner (ce que je n’avais jamais fait), à planifier des collations, et à vaincre ma phobie de prendre du poids. Ce fut littéralement mon « Everest » à escalader. Il y a eu des moments vraiment difficiles mais je suis passé à travers avec une nouvelle base alimentaire dont j’avais grandement besoin.
Maintenant, je suis suivi par une psychologue spécialisée dans ce domaine. Cette thérapie m’aide à diminuer l’anxiété et la procrastination, mais surtout à prendre soin de moi, un réflexe difficile pour moi. Les résultats sont positifs : je cours pour le plaisir, je prends mes repas et collations au quotidien, je mange mes plaisirs gourmands régulièrement et surtout, les orgies alimentaires ont pratiquement disparu. J’ai également consulté une très bonne nutritionniste l’an dernier qui m’a aidé à éviter ces pertes de contrôle qui me culpabilisaient grandement.
Pourquoi le coming out?
Tout simplement pour la CAUSE, cette famille de maladie étant encore taboue dans notre société. Plusieurs de mes connaissances ont des enfants qui arrivent à l’adolescence, période où la majorité des T.A. se développent. Alors pour eux et pour vous : soyez vigilants et n’hésitez pas à demander de l’aide! Mon orgueil « fort » masculin m’a empêché de le faire si longtemps, avec comme conséquence une vie en montagnes russes parsemée de souffrances, d’euphories et de fuites.
Autre triste constat : je n’ai rencontré que 3 gars sur approximativement 100 patients durant ma réhabilitation. Si ce témoignage peut aider seulement un homme à aller consulter et à entreprendre sa guérison, ce texte en aura valu totalement le coup.
En ce 18 mars 2016, 15000ème jour de mon existence, je me considère officiellement en rémission de cette foutue maladie, même s’il me faut encore travailler sur les enjeux qui ont fait que ce T.A. fut à la fois mon meilleur ami et mon pire ennemi pendant 2 décennies.
Marc Bergeron, survivant de T.A.