17 ans, c’est à ce moment-là que j’ai développé mon trouble alimentaire.
Ça faisait déjà un moment que j’étais inconfortable dans ma peau, ce n’est tout de même pas arrivé du jour au lendemain. Malheureusement, c’est plutôt la normalité à cet âge-là. Je rencontre rarement des gens qui se sentent vraiment bien avec leur apparence à 17 ans. T’es jeune, tu te découvres, tu changes, tu as beaucoup de questionnements, tes émotions sont dans le tapis 24h/7. Ce n’est juste pas un moment nécessairement facile dans une vie.
Et voilà que je commençais le cégep. J’étais nerveuse et il s’agissait d’un nouvel environnement pour moi. J’étais complètement déstabilisée et j’avais perdu tous mes points de repères. J’étais anxieuse. Fébrile.
J’avais un cours de gym lors de ma première session. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, je sais juste que j’étais absolument terrifiée. Lors du 2ème ou 3ème cours, le prof nous a demandé de compléter un plan alimentaire et de faire un bref résumé de notre activité physique au cours d’une semaine complète. Au fil de la session, on devait voir une amélioration « nette » au niveau de notre alimentation ainsi qu’niveau de notre activité physique. On devait donc comparer des données: au début de la session VS à la fin de la session (qui dure, rappelons-nous, environ 15 semaines).
Donc, deuxième cours: nous voilà tous dans le gymnase et le prof nous donne des petits objets que je n’avais jamais vus auparavant. Il nous a expliqué que ces instruments servent à calculer notre taux de graisse… J’ai entendu ces mots et j’ai tout de suite paniqué. J’ai regardé tout le monde autour de moi et je me suis dit: « Ça y est, j’suis la plus grosse de la gang. c’est clair que ça va être quelque chose comme 70% (totalement irrationnel en passant, considérant que la moyenne est entre 25 et 31%).» J’ai calculé tout ça les yeux fermés et à la fin j’ai vu le chiffre: 27%. Je m’en rappelle encore et ça fait pratiquement 5 ans.
J’avais déjà les larmes aux yeux en me disant que « ce n’était pas bien», que « Je devais avoir moins de gras», que « Ce n’était pas l’idéal.» Et ensuite est venue la pesée. Comme si le pourcentage de gras n’était pas assez, tsé. Une balance. Devant tout le monde. Ok, c’est vrai: c’est pas tout le monde qui voyait le chiffre. Ça ne change rien au fait que cela faisait des mois, peut-être même des années que je ne m’étais pas pesée. Je ne portais pas attention à ça, à ce moment. Je n’avais même pas de balance chez moi.
« Chacun votre tour vous embarquez sur la balance et puis vous notez votre poids en lbs. Ensuite, vous calculerez votre IMC (indice de masse corporel). Avec ça, vous saurez où vous vous situez. » Les options étaient les suivantes: sous-poids, poids normal, surpoids et obèse morbide. J’ai calculé mon IMC. Je me situais sur la limite entre « poids normal » et « surpoids. » J’ai essayé de cacher mes larmes. Je me sentais tellement horrible. Je n’étais pas correcte. Je n’étais pas dans la norme. Je n’étais pas assez bonne, pas assez bien. Cet exercice m’a fait penser qu’il y avait quelque chose d’incorrect avec mon poids.
Je ne dis pas que c’est ce qui a déclenché mon trouble alimentaire, mais cela n’a certainement pas aidé à la cause. Quelques semaines plus tard et j’étais déjà dans les comportements malsains: la restriction, les vomissements, les orgies alimentaires. J’étais malade.
Bon. Ça c’est sûr que c’est le cas extrême. Ce n’est pas tout le monde qui calcule son IMC et son taux de graisse qui tombe dans un trouble alimentaire… Mais ce n’est certainement pas une pratique saine qui aide les jeunes à avoir une bonne estime d’eux-mêmes. Cette façon de faire ne prône pas une image saine et diversifiée. Cela ne prend pas en considération les exceptions et les cas personnels.
C’est juste complètement enrageant et dégradant comme processus.
Je souhaite tellement mieux pour les jeunes de demain.
Une pétition pour s’opposer à la pesée des élèves dans les cours d’éducation physique
Il faut que ça cesse. Et des jeunes militants, qui se soulèvent contre ce genre de pratique, il y en a. Une jeune fille aux prises avec un trouble alimentaire, en processus de guérison, qui désire conserver l’anonymat a récemment eu l’initiative de mettre en ligne une pétition pour que la pesée dans les écoles cesse : https://www.assnat.qc.ca/fr/exprimez-votre-opinion/petition/Petition-6201/index.html .
Anorexie et boulimie Québec (ANEB) est d’avis qu’il faut éviter de mesurer ou peser un jeune devant le groupe afin de définir son IMC. La prise de mensurations et de plis cutanés (pourcentage de masse grasse) est également à proscrire. Moi et ANEB appuyons la pétition de cette courageuse jeune fille, et nous vous invitons à la signer.
Outre ANEB, bon nombre d’associations* qui se spécialisent dans les troubles alimentaires sont elles aussi catégoriques : la pesée n’a pas sa place en milieu scolaire. Les dégâts qu’elle peut engendrer chez les jeunes (comportements alimentaires malsains, stigmatisation et intimidation liées au poids) sont trop importants. Mon histoire en témoigne d’ailleurs.
L’American Academy of Pediatrics recommande que l’IMC ne soit évalué que par le médecin de famille ou le pédiatre, dans une rencontre à des fins de bilan de santé et de soins médicaux. Le personnel enseignant ne devrait pas évaluer l’IMC des jeunes. En plus de présenter certains aspects de risque, cette mesure n’est pas toujours représentative de l’état de santé du jeune et n’entraînera aucune indication pertinente pour des fns éducatives (Comment prévenir sans nuire, Guide développé par ANEB et La Maison l’Éclaircie, 2015).
Élyse Beaudet
avec la contribution de Mélanie Guénette-Robert, responsable du volet éducation et prévention chez ANEB, pour la seconde partie (sur la pétition)
* Notamment le Binge Eating Disorder Association (BEDA), Eating Disorders Coalition (EDC), Feast-ed.org, Strategic Training Initiative for the Prevention of Eating Disorders (STRIPED).