J’avais 14 ans quand l’anorexie a pris le contrôle de ma vie. Elle était comme mon gardien de prison. Elle était toujours là à regarder les calories, mes portions, mon reflet dans le miroir.
Elle me faisait pratiquer du sport matin et soir. Malheur à moi si je n’avais pas perdu de poids ce matin-là. L’anorexie n’arrive pas du jour au lendemain. Elle s’installe doucement à tes côtés. Elle veut seulement te conseiller à faire des choix plus santé, à devenir parfaite, mais la perfection n’existe pas. Lorsque tu vois un, deux ou trois kilos de moins sur la balance, lorsqu’on entend les compliments des gens qui fusent de partout, il n’y a pas de sentiment plus jouissif. C’est alors que tu recommences pour retrouver ce sentiment, ces compliments. À ce moment, l’anorexie ne s’installe plus doucement à tes côtés, elle te prend à la gorge, prisonnière de son emprise, il n’y a plus de porte de sortie. Au revoir les amis, adieu mon amour, il n’y a plus rien qui compte à présent que ce sentiment d’euphorie qui s’empare de toi à chaque fois qu’un gramme s’envole.
Cependant, ce ne sont pas seulement les grammes qui te quittes, ta personnalité, ta joie de vivre, tes relations, c’est aussi le prix à payer pour avoir un corps parfait. Du moins, c’est ce que tu crois. Quand l’anorexie est bien ancrée en toi, quand elle a métastasé un peu partout, le sentiment d’extase disparaît et la descente aux enfers commence. Toi qui as toujours été une élève modèle, une sportive exemplaire, tu n’es plus capable de te concentrer ou de performer. Ton corps essaie seulement de se protéger jusqu’au prochain repas. Le froid s’empare de toi, malgré la douce chaleur de l’été indien. Des poils appelés lanugo apparaissent afin de te garder au chaud. Il devient de plus en plus difficile de te lever de ton lit le matin, ta tête est si lourde pour ton petit corps frêle. Tu essaies tant bien que mal de te cacher sous plusieurs couches de vêtements, mais tout le monde voit que tu ne vas pas bien. Tout le monde sauf toi, qui te crois encore en contrôle.
Puis un jour, tu perds conscience à l’école, car en montant les escaliers tu as épuisé les dernières réserves d’énergie que tu avais emmagasiné. Tu te retrouves alors à l’hôpital, les médecins essaient de te faire comprendre que tu es souffrante, mais tu crois encore que tu es en contrôle. C’est ici que tu arrives à la croisée des chemins. Vas-tu rester sous l’emprise de l’anorexie ou vas-tu te battre afin de t’en défaire? Crois-moi, il n’y a pas d’options faciles. Même quand tu vas vouloir de toutes tes forces, elle continuera quand même à te crier dessus à chacune des bouchées que tu prends. Tu dois faire abstraction à cette voix.
Tu dois continuer à parler à tes médecins, aux intervenants.
Il se peut que tu rechutes, et c’est tout à fait normal.
Ton équipe, ton filet de sécurité, seront toujours là pour t’aider à te relever. Ça sera ton combat le plus exténuant de ta vie, mais j’ai confiance que tu peux le réussir. Après 6 ans d’anorexie, je suis maintenant libérée de son emprise et ce sans probation.
Prends soins de toi,
– Julie.